
Une médaille d'argent brise un sortilège qui tracasse les lugeurs canadiens depuis quatre longues années
PYEONGCHANG Walker, Snith, Edney, Gough écartent le chagrin de Sotchi avec un effort de rêve
Tristan Walker a glissé un insigne de l’Aviation royale du Canada, appartenant à son grand-père, dans la manche gauche de sa combinaison de compétition. Justin Snith a mis une pièce de deux dollars dans sa bottine droite.
Que ce soit de la superstition ou une petite prière, ou un appel pour l’aide venant du plus haut, peu importe : ces athlètes se sentaient maudits pour aborder les Jeux Olympiques d’hiver 2018 à Pyeongchang, Corée du Sud.
Résolus, Walker et Snith se sont mis sur leur engin pour compléter le dernier relais, et ils ont réalisé une descente magistrale au Centre de glisse olympique. Ils ont franchi la ligne d’arrivée pour inscrire un chrono cumulatif de deux minutes 24,872 secondes — ce qui a suffi pour mettre le Canada en première place, avec seulement deux équipes qui restaient encore en haut de piste.
«Il y a une pause entre le moment de franchir la ligne d’arrivée et la découverte de votre rang au tableau de pointage,» a expliqué Snith, qui a fondu en larmes lorsque tous ses coéquipiers se sont lancés sur l’engin avant même qu’il ne s’immobilise dans l’aire de décélération, dans un méli-mélo de tuques rouges et de spandex. «Quand j’ai vu mes coéquipiers exploser de joie, c’est comme si un poids énorme a été levé de mes épaules, un poids que je supporte depuis quatre longues années.»
Les formidables Allemands ont glissé vers la médaille d’or, comme attendu, en 2:24,517. Les Autrichiens ont atterri à la marche en bronze du podium, ce qui n’était pas du tout attendu, avec un temps total de 2:24,988.
Le contingent canadien de Walker, Snith, Sam Edney et Alex Gough s’est accroché à la médaille d’argent par une journée qui s’est déroulée sous le signe du rachat.
Un rachat des plus doux.
«C’est le moment auquel nos rêvons, que nous visons depuis toujours,» Edney a déclaré aux journalistes dans l’aire d’arrivée.
Il y a quatre ans, il s’en est fallu de très peu que Gough, Edney, Walker et Snith mettent la main sur une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de Sotchi. La marge n’aurait pu être plus mince…seulement un dixième de seconde. C’était un coup terrible pour les Canadiens. Confus, voire déprimés, ils sont rentrés au Canada en se demandant s’ils avaient bel et bien laissé échapper la seule possibilité que l’équipe aurait pour une médaille olympique.
Gough s’est consacrée à ses études de génie à l’Université de Calgary. Edney a pris un congé d’un an pour compléter un diplôme en commerce à l’Université Royal Roads.
Walker et Snith, quant à eux, ont continué de glisser, de poursuivre la gloire fugace.
«Le dernier quadriennal s’est déroulé sous l’ombre de Sotchi,» a indiqué Walker. «Ce rachat – et une médaille d’argent, encore mieux qu’un bronze – c’est merveilleux.»
Il faut rappeler que c’est la même équipe canadienne qui, au mois de décembre, avait découvert qu’elle serait élevée à la médaille de bronze après avoir terminé au quatrième rang aux relais à Sotchi. Ce surclassement a été la conséquence d’une suspension de dopage que le Comité international olympique avait flanquée aux médaillés d’argent russes, Albert Demchenko et Tatiana Ivanova.
Mais une autre dose de chagrin attendait : le 1er février, le Tribunal arbitral du sport s’est prononcé en faveur d’un appel lancé par les athlètes russes, et en conséquence le Canada s’est vu à nouveau relégué en quatrième place.
«Après s’être fait voler par des tricheurs et s’être fait nier des médailles aux Jeux précédents, voilà l’équipe pour laquelle je suis la plus contente,» a dit l’ancienne hockeyeuse olympique canadienne Hayley Wickenheiser sur Twitter. «Bravo à vous tous!»
Au fil des quatre derniers ans, l’équipe canadienne de luge a fait de son tout pour choisir la voie de la probité lorsque la conversation tournait autour des évènements à Sotchi. Les athlètes ont souvent évoqué le besoin de s’occuper des aspects qui relèvent d’eux-mêmes et d’écarter tout le reste.
À la suite de la décision du Tribunal arbitral du sport, cependant, Edney n’a pas su se retenir et il s’est exprimé sans la moindre ambigüité sur Twitter: «C’est un jour très, très, très sombre pour le sport propre…si une telle chose existe encore.»
Et maintenant qu’il est enfin médaillé Olympique, Edney a refusé jeudi de laisser le passé assombrir son plus beau moment sur la piste.
«Je suis comblé de joie à présent,» a déclaré Edney, en annonçant sur le coup sa retraite du sport en tant que compétiteur. «J’ai très hâte de célébrer avec mes coéquipiers et ma famille et tout le Canada. Ça va être une belle journée.»
Avant cette semaine, le Canada n’avait jamais gagné de médaille Olympique en luge, sport qui a fait ses débuts au programme des Jeux en 1964. La Calgaroise Gough a mis fin à cette longue pénurie, raflant la médaille de bronze en luge individuelle féminine. Jeudi, elle a exécuté une descente superbe, suffisamment rapide pour donner au Canada une tête d’avance de 0,167 de seconde sur le chrono inscrit par l’Américaine Summer Britcher.
«Je tenais tellement à gagner une médaille pour eux, avec eux,» a dit Gough à propos de ses coéquipiers. «J’ai fait la meilleure descente que je pouvais. Ils ont fait leur part, et nous avons enfin brisé le sortilège de Sotchi.»
En réfléchissant justement à ce sortilège, Walker a doucement sorti de la manche gauche de sa combinaison un insigne de l’Aviation royale du Canada, qui avait appartenu de son grand-père. Snith empoignait la pièce de deux dollars qu’il pensait donner un jour à ses futurs petits-enfants.
«Nous avons raté la médaille de si peu à Sotchi,» a dit Snith, en essayant sans y parvenir de retenir ses larmes. «On passe quatre ans à supporter cet échec, à penser à ce qu’on a perdu, au moment olympique qui nous a échappé.
«Il est magnifique d’achever enfin ce moment, de vivre cela ensemble.»